La couleur est donnée : Tutuguri, c’est le Rite du soleil noir. Noir ? La couleur qui, pour le physicien, n’en est pas une. Ce rite, c’est celui des Tarahumaras, auquel assiste Antonin Artaud lors d’un voyage au Mexique en 1936, et dont lui vient un poème, plus tard intégré à sa création radiophonique Pour en finir avec le jugement de dieu. Alors qu’en lisant ce poème, il nous vient de vives images – « les six hommes / qui étaient couchés, / roulés à ras de terre, / jaillissent successivement comme des tournesols, / non pas soleils / mais sols tournants, des lotus d’eau » – Wolfgang Rihm est pris par « un flux de musique, une précipitation de musique, comme autour d’un aimant : des dépôts de musique » écrit-il. Ce grand compositeur, dont le catalogue compte désormais presque quatre cents opus, réussit le pari de faire de la musique à partir de la vision du théâtre d’Artaud, un « théâtre rituel ». Par conséquent, Wolfgang Rihm explique que la musique doit être à l’état brut : « Musicalement, cela signifie se départir du style et aller vers le son, le son antérieur (…) J’ai tenté de composer une musique telle qu’Artaud peut-être la voyait ». D’emblée, l’on comprend que Wolfgang Rihm propose une musique qui n’a plus comme contrainte que l’espace temporel dans lequel elle s’exprime. La composition se comprend comme une archéologie du son, explorant une sorte de Big Bang de la musique où les percussions se dépassent magistralement. Parfois, il est possible de distinguer des fragments archéologiques, courtes mélodies de vestige qui nous mènent finalement à un « poème dansé » inouï. Pour Wolfgang Rihm, « le ‘théâtre de la cruauté’ est le théâtre des idées à cru, c’est-à-dire non revêtues de conventions artificielles, un théâtre des affects purs, qui veut, avec les moyens de l’homme, dépasser l’homme ». La performance de l’Ensemble intercontemporain et de l’Orchestre du Conservatoire de Paris, dirigés par Matthias Pintscher et avec le récitant Matisse Humbert, était à la hauteur de cette tentative de parvenir à « la vie ‘pulsionnelle’ des sons ».
Léo Rivaud Chevaillier

Paris, Musée national d’art moderne-Centre Pompidou
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